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En Haïti, l’ascension des gangs rend difficile toute intervention de l’Onu


Photo d’archives : L’ancien policier Jimmy «Barbecue» Cherizier, leader de la coalition «G9», fait visiter à la presse le bidonville de La Saline à Port-au-Prince, en Haïti. Photo prise le 3 novembre 2021/REUTERS/Ralph Tedy Erol

par Brian Ellsworth

(Reuters) — En octobre, alors que la crise humanitaire provoquée par les gangs s’aggravait en Haïti, un groupe de pillards a saccagé un supermarché dans une banlieue aisée de la capitale, Port-au-Prince, poussant la police à arrêter plus d’une douzaine de personnes et à les emmener dans un commissariat voisin.

Ils n’y sont pas restés longtemps.

En l’espace de quelques heures, le commissariat du quartier de Thomassin a été la cible d’une pluie de balles tirées par les membres d’un gang dirigé par un certain Carlo Petithomme, dont le frère figurait parmi les personnes arrêtées, selon deux sources de sécurité.

Carlo Petithomme, plus connu sous le nom de Ti Makak, dirige le gang du même nom. Ses membres ont maîtrisé les agents et libéré les pillards ainsi que d’autres détenus qui avaient été arrêtés auparavant, ont déclaré les sources.

Reuters n’a pas été en mesure de contacter Carlo Petithomme pour des raisons de sécurité.

L’attaque audacieuse du 10 octobre, relatée en détail pour la première fois ici, a choqué les habitants de cette zone qui avait été largement épargnée par les gangs haïtiens, dont l’un est à l’origine d’une crise humanitaire après avoir bloqué l’approvisionnement en carburant.

Bien que Ti Makak ne soit pas directement lié au blocage de la distribution de carburant, son ascension montre la capacité des gangs haïtiens à passer rapidement du statut de bande criminelle à celui de puissants chefs de guerre, capables de mettre à mal l’état de droit, même dans les régions les plus stables du pays.

C’est une preuve supplémentaire de la manière dont les gangs ont étendu leur pouvoir depuis l’assassinat du président Jovenel Moïse en 2021, et des difficultés auxquelles est confronté le Premier ministre Ariel Henry pour rétablir l’ordre dans le pays.

La plupart des gangs ont d’abord émergé dans les bidonvilles près de la capitale, mais les résidents et les commerçants ont quitté ces zones en réaction, selon James Boyard, expert en sécurité et professeur de relations internationales à l’Université d’État d’Haïti.

«Dans le but d’avoir accès à de nouvelles sources de revenus, les gangs cherchent maintenant à s’installer dans ce qui était autrefois des ‘zones vertes’, pour y pratiquer des enlèvements et des extorsions», a ajouté James Boyard.

Le pays est désormais pris en otage par une fédération de gangs appelée G9 et dirigée par Jimmy «Barbecue» Chérizier, un ancien policier qui, en septembre, a commencé à bloquer le terminal pétrolier de Varreux, une action qu’il a qualifiée de protestation contre un projet de réduction des subventions au carburant.

De nombreux habitants, ainsi qu’un nombre croissant de décideurs américains, pensent que les riches Haïtiens financent les gangs pour servir leurs propres intérêts économiques.

Le blocus a laissé Haïti sans carburant, déclenchant des pénuries de nourriture et d’eau potable, au moment même où le pays est confronté à une épidémie de choléra. Les Nations unies ont envisagé la création d’une force d’intervention pour lever le blocus et reprendre la distribution de carburant, mais on ne sait pas encore qui la dirigerait.

La dernière grande force militaire étrangère à intervenir sur l’île, une mission de l’Onu connue sous le nom de Minustah, était profondément impopulaire lorsqu’elle a pris fin en 2017 après 13 années de présence, en raison de preuves crédibles que ses troupes ont provoqué une épidémie de choléra en 2010, ainsi que d’accusations d’abus sexuels commis sur des jeunes filles.

Les gangs sont également profondément implantés dans la population civile, ce qui signifie qu’une opération militaire conventionnelle risquerait d’entraîner des pertes civiles importantes.

La police nationale d’Haïti n’a pas répondu aux demandes de commentaires sur l’incident du commissariat de police ou sur Ti Makak en général.

«LES MENACES NE SONT PAS VAINES»

Selon les habitants et les experts en sécurité, Ti Makak a désormais une forte emprise sur Laboule, une zone de collines escarpées et verdoyantes au sud de Port-au-Prince.

Depuis les années 1990, Laboule est peuplée de familles aisées attirées par l’air frais et les vues panoramiques, dont certaines ont construit des manoirs et des villas de luxe. Les sous-districts de Laboule sont délimités par des numéros, et une augmentation significative de l’activité des gangs a été constatée à Laboule 12. Ses rues, qui pendant des années grouillaient de conducteurs, de vendeurs et de clients, sont de plus en plus vides.

En 2021, lorsque les gangs ont pris le contrôle de la route principale menant de Port-au-Prince à la péninsule sud d’Haïti, les conducteurs ont commencé à prendre Laboule comme itinéraire alternatif.

Les premières activités de Ti Makak sont difficiles à dater.

Le groupe a commencé à attirer l’attention sur lui après la mort d’un policier lors d’une opération antigang en janvier à Laboule 12. Les médias locaux ont rapporté que Ti Makak en était responsable.

Vers le milieu de l’année, un entrepreneur local a commencé à recevoir des appels d’hommes non identifiés qui lui demandaient de remettre certaines des marchandises de son magasin à la demande d’un homme auquel étaient attribués des titres grandiloquents comme «le commandant».

L’entrepreneur, qui, pour des raisons de sécurité, a demandé à ce que ni lui ni la nature spécifique de son activité ne soient identifiés, a d’abord pensé que les appels provenaient de caïds du quartier prétendant avoir des liens avec des groupes criminels.

Mais les appels ont continué, dit-il, et un groupe s’est ensuite présenté sur place, affirmant être lié à Ti Makak. Ils sont devenus agités lorsque leurs demandes de marchandises et de paiements en espèces ont été rejetées.

L’entreprise a maintenant fortement réduit ses activités en raison des menaces répétées durant plusieurs mois, ainsi que de la situation générale du pays, a déclaré l’entrepreneur.

«Il n’y a rien qui puisse les arrêter, sauf si Dieu ou les anges les font changer d’avis», a-t-il déclaré. «S’ils viennent, ils viennent. En Haïti, les menaces ne sont pas vaines.»

CONFLITS FONCIERS

Carlo Petithomme est resté relativement discret par rapport à d’autres chefs de gangs comme Jimmy Chérizier, qui aime apparaître en public dans des costumes sur mesure et a même invité des correspondants étrangers à des conférences de presse.

Dans une interview diffusée par une chaîne YouTube peu connue appelée RL Media Pro, un homme portant un chapeau de cow-boy et un bandana sur le visage, qui s’est identifié comme étant Ti Makak, a été interrogé sur l’attaque du commissariat de Thomassin.

Il n’a pas répondu aux questions portant directement sur l’assaut du commissariat, décrivant plutôt les événements de cette journée comme un effort pour protéger les manifestants pacifiques des attaques de la police.

«Je ne vais pas vous mentir, si je n’étais pas rapide (pour protéger) mes gars, la majorité de mes gars auraient été des victimes», a dit l’homme, sans élaborer.

Carlo Petithomme a déclaré par le passé que sa famille était originaire de Laboule 12 et que les terres des agriculteurs avaient été accaparées par un homme nommé Jean Mossanto Petit, un entrepreneur haïtien qui a dirigé pendant des décennies avec succès une entreprise de loterie et possède des terres dans la région.

Reuters n’a pas pu obtenir de commentaire de Jean Mossanto Petit.

Des conflits liés au droit de la propriété, un problème chronique remontant à l’indépendance d’Haïti en 1804, ont entraîné des affrontements sanglants près de Laboule 12 en 2021, selon Fenel Pélissier, un journaliste qui a publié en octobre un enquête sur le conflit pour le média en ligne haïtien Ayibo Post.

«(Carlo Petithomme) n’habitait pas dans la région, mais il est revenu lorsqu’il a appris que des personnes qui y vivaient avaient vendu des terres à (Jean Mossanto Petit)», a déclaré Fenel Pélissier, qui a parlé avec des résidents de la zone, mais a ajouté qu’il n’était pas clair si des transactions foncières avaient effectivement eu lieu.

Fenel Pélissier a indiqué qu’un fonctionnaire lui avait dit qu’environ 60 personnes avaient été tuées et 100 maisons incendiées depuis le début du conflit en 2021.

Selon Ricardo Germain, consultant indépendant en sécurité, le soutien rhétorique de Ti Makak aux pauvres indique que le groupe cherche, comme de nombreux gangs haïtiens, à gagner à sa cause une population souffrant d’une grave crise.

«Nous pouvons aisément conclure que la bande de Ti Makak, en agissant de la sorte, cherche à gagner le cœur de la population, en particulier des personnes qui ont participé à des actes de pillage durant les dernières manifestations», a déclaré Ricardo Germain.

(Reportage Brian Ellsworth à Miami, version française Augustin Turpin, édité par Kate Entringer)

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