Economie

Les Tunisiens sans illusions à l’approche des élections législatives


Photo d’un panneau publicitaire à l’approche des élections législatives. /Photo prise le 8 décembre 2022 à Tunis, Tunisie/REUTERS/Jihed Abidellaoui

par Angus McDowall et Tarek Amara

TUNIS (Reuters) — Les élections législatives qui se dérouleront samedi en Tunisie apportent aux yeux du président Kaïs Saïed la dernière touche à la réorganisation institutionnelle qu’il a initiée après s’être arrogé les pleins pouvoirs l’an dernier, mais pour l’opposition qui va boycotter le scrutin, c’est le dernier jalon d’une dérive autoritaire.

Contrairement au Parlement que le chef de l’Etat a dissous l’an dernier pour faire taire les voix dissonantes, la nouvelle Assemblée n’aura que des pouvoirs limités et elle va être élue avec un cadre législatif qui restreint considérablement le rôle des partis politiques.

Kaïs Saïed, qui a gouverné par décret depuis la dissolution du Parlement en juillet 2021, a toujours affirmé que sa décision était conforme à la Constitution et nécessaire pour sortir la Tunisie de la paralysie politique. Il estime que le référendum organisé cet été pour approuver une nouvelle Constitution lui a octroyé la légitimité populaire.

Dans les rues de Tunis, rares sont pourtant les habitants qui se réjouissent du retour à un système présidentiel et affichent l’intention d’aller voter.

«Ce Parlement n’aura aucun pouvoir et les candidats ne sont intéressés que par l’obtention d’un poste et d’un salaire. Ils ne pourront rien faire, le président détient tous les pouvoirs», a déclaré à Reuters Lazhar Bousitta, 54 ans, vendeur de rasoirs dans le souk de Sidi el Bari, au centre de la capitale.

Les commerçants du quartier n’ont pas beaucoup de raisons de se motiver à voter: comme dans six autres circonscriptions, sur les 161 du pays, il y a à Sidi el Bari un seul candidat au poste de député.

Comme le souligne Lazhar Bousitta, la nouvelle Constitution a de plus considérablement limité les pouvoirs du Parlement, qui n’aura plus son mot à dire sur la formation du gouvernement, lequel n’aura pas davantage à rendre de comptes devant les députés.

Les Tunisiens ont plus généralement abandonné tous les espoirs nés de la «révolution de Jasmin» en 2011, au fil d’une transition démocratique qui a progressivement déraillé, plombée par les luttes politiques et la frustration économique.

Les élections législatives se tiendront samedi à la date anniversaire de l’immolation de Mohamed Bouazizi, qui avait précipité le soulèvement populaire contre le président Zine el Abidine Ben Ali, début des «printemps arabes».

URGENCE ÉCONOMIQUE

Si la Tunisie a pendant un temps semblé mieux garder le cap des réformes démocratiques que ses voisins — l’Egypte, retombée sous la coupe des militaires, ou la Libye, le Yémen et la Syrie, qui ont sombré dans la guerre civile -, ce n’est plus le cas aujourd’hui.

Pour Kaïs Saïed et ses partisans, les partis post-révolutionnaires qui dénoncent la dérive autoritaire du président sont responsables de la faillite politique et économique de la Tunisie.

Les sondages et les reportages de la presse étrangère sur les candidats étant interdits par la loi électorale, il y a peu d’indications sur l’intérêt des Tunisiens pour le scrutin, alors que la participation au référendum constitutionnel l’été dernier n’a pas dépassé 30%, par apathie ou boycott.

L’issue du vote ne fait en revanche guère de doute, les partis d’opposition comme la principale centrale syndicale tunisienne ayant une nouvelle fois appelé au boycott.

Décrédibilisés par des années de transition politique chaotique, les partis issus de la révolution de 2011 restent impopulaires mais ils se sont trouvés un ennemi commun: Kaïs Saïed.

Réunis samedi dans le centre de Tunis à l’appel du «Front de salut national», des partisans du parti islamiste Ennahda comme de l’ancien président Ben Ali ont réclamé la démission du chef de l’Etat, en brandissant pour certains la pancarte «Dégage!» emblématique de la révolution de 2011.

«Ces élections législatives sont une farce. Elles n’ont aucune légitimité et violent la Constitution», a dit Sami Tbessi, un des manifestants.

Pour la plupart des Tunisiens auxquels Reuters a pu parler dans le souk Sidi el Bari, le projet politique de Kaïs Saïed n’a pas autant d’importance que l’urgence économique, dans un pays durement frappé par les conséquences de la pandémie de COVID-19 et l’inflation.

Hossam Zayani, qui survit en vendant des cigarettes et se dit incapable de payer son loyer et ses factures d’électricité et d’eau, le salut passe par un départ vers l’Europe avec sa femme et leur fille.

«Je ne voterai pas. Le Parlement ne fera rien pour nous», tranche-t-il.

Comme lui, les Tunisiens sont de plus en plus nombreux à entreprendre la dangereuse traversée en bateau en direction des côtes italiennes, selon l’Organisation internationale pour les migrations et les organisations d’aide aux réfugiés.

(Reportage d’Angus McDowall et Tarek Amara, version française Tangi Salaün, édité par Sophie Louet)

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