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Bakou lance une opération au Haut-Karabakh, spectre d’une guerre avec Erevan


Le village de Taghavard dans le Haut-Karabakh. /Photo prise le 16 janvier 2021/REUTERS/Artem Mikryukov

BAKOU (Reuters) — L’Azerbaïdjan a déclaré vouloir mener «jusqu’à la fin» les opérations militaires qualifiées d'»antiterroristes» lancées mardi dans la région séparatiste du Haut-Karabakh, peuplée majoritairement d’Arméniens, une annonce alimentant les craintes d’une nouvelle guerre entre Bakou et Erevan.

Reconnu internationalement comme faisant partie du territoire azerbaïdjanais, le Haut-Karabakh est géré en partie par des autorités arméniennes dissidentes qui considèrent la région comme leur patrie ancestrale.

Cette querelle entre les deux voisins a donné lieu à deux guerres depuis la chute de l’Union soviétique en 1991, la dernière en date à l’automne 2020 lorsque Bakou a lancé une offensive pour reprendre une partie du territoire contrôlé par les séparatistes soutenus par Erevan.

L’Azerbaïdjan, qui a envoyé des troupes au sol appuyées par des tirs d’artillerie, a revendiqué avoir saisi plus de 60 postes militaires des séparatistes arméniens.

Sur des vidéos filmées mardi à Stepanakert, la capitale du Haut-Karabakh appelée Khankendi par l’Azerbaïdjan, et publiées sur les réseaux sociaux, on pouvait entendre de lourds tirs d’obus répétés.

Le médiateur des droits de l’homme pour le Haut-Karabakh a indiqué que 25 personnes ont été tuées et près de 140 autres blessées mardi dans la région. Via le réseau social X (ex-Twitter), Gegham Stepanian a précisé que 29 des blessés étaient des civils. Il avait fait part plus tôt de la mort de deux civils. Reuters n’a pas pu vérifier ce bilan.

Alors que plane l’ombre d’un conflit à plus grande échelle avec l’Arménie, le Premier ministre arménien Nikol Pachinian a dénoncé des appels à mener un coup d’Etat contre lui.

«FERMER UN CHAPITRE D’ANIMOSITÉ»

Les combats pourraient affecter l’équilibre géopolitique du sud du Caucase où la Russie, allié traditionnel de l’Arménie mais qui voit Nikol Pachinian comme trop pro-occidental, veut préserver son influence en marge de la guerre en Ukraine et face à l’activité croissante de la Turquie, soutien de l’Azerbaïdjan.

Un conseiller du président azerbaïdjanais Ilham Aliev sur la politique étrangère a déclaré à Reuters que l’armée de Bakou était parvenue à percer les «lignes de contact» avec les troupes arméniennes du Haut-Karabakh en différents points, réalisant certains de ses objectifs, ce qu’ont nié les séparatistes.

Hikmet Hajiev a ajouté qu’un dialogue avec les séparatistes arméniens sera possible seulement si leurs combattants se rendent, indiquant que Bakou n’a aucun objectif militaire en Arménie mais veut seulement «fermer un chapitre d’animosité et de confrontation».

«Trop c’est trop. On ne peut pas tolérer plus longtemps d’avoir de telles troupes sur notre territoire et une structure qui, quotidiennement, défient la sécurité et la souveraineté de l’Azerbaïdjan», a-t-il dit.

Citant l’administration azerbaïdjanaise, la presse officielle a rapporté que Bakou mènerait «jusqu’à la fin» son opération à moins que les troupes arméniennes se rendent.

Le ministère azerbaïdjanais de la Défense a déclaré qu’il ne visait que des cibles militaires légitimes en utilisant des armes de haute précision, et non des civils ou des infrastructures civiles, avec l’objectif de «restaurer l’ordre constitutionnel de la République d’Azerbaïdjan».

Dans un communiqué, il a ajouté que les civils étaient libres de quitter la région par les couloirs humanitaires, dont l’un vers l’Arménie.

Nikol Pachinian a décrit cette proposition comme une possible nouvelle manoeuvre de l’Azerbaïdjan pour chasser les Arméniens du Haut-Karabakh dans le cadre d’une «purge ethnique» — des accusations rejetées par Bakou.

«SENTIMENT D’IMPUNITÉ»

Alors que l’Arménie et l’Azerbaïdjan mènent de longue date des discussions de paix, notamment sur l’avenir du Haut-Karabakh, Erevan a condamné mardi ce qu’il a appelé «l’agression à grande échelle» de Bakou contre le peuple du Haut-Karabakh. Il a accusé l’Azerbaïdjan de bombarder des villes et des villages.

L’Arménie, qui affirme ne pas avoir de forces armées au Haut-Karabakh, a indiqué que la situation sur sa propre frontière avec l’Azerbaïdjan était stable.

«Poussé par un sentiment d’impunité, l’Azerbaïdjan a ouvertement revendiqué la responsabilité de l’agression», a déclaré le ministère arménien des Affaires étrangères dans un communiqué, appelant les membres du Conseil de sécurité de l’Onu à apporter leur aide.

Erevan a aussi exhorté la Russie à intervenir sur le terrain, où elle dispose de troupes, reprochant à son allié d’être focalisé sur la guerre en Ukraine.

Moscou, qui a négocié un fragile cessez-le-feu entre les deux camps après le conflit de 2020 et déployé des soldats de maintien de la paix, a fait savoir que ces derniers ont évacué près de 500 civils de zones dangereuses du Haut-Karabakh.

La Russie est en contact avec Bakou et Erevan, a indiqué le porte-parole du Kremlin, Dmitry Peskov, ajoutant que garantir la sécurité des civils était la principale préoccupation.

Des représentants à Washington ont fait savoir que le secrétaire d’Etat américain Antony Blinken devrait vraisemblablement intervenir dans les prochaines heures pour tenter d’apaiser la crise.

LA FRANCE VEUT UNE RÉUNION D’URGENCE DU CONSEIL DE SÉCURITÉ

La France, de son côté, a condamné «avec la plus grande fermeté» l’opération azerbaïdjanaise menée avec des «armements lourds, y compris contre des zones habitées».

Paris, qui a appelé Bakou à cesser immédiatement son offensive, a demandé que se tienne jeudi une réunion d’urgence du Conseil de sécurité de l’Onu.

Dans un communiqué, le chef de la diplomatie de l’Union européenne Josep Borrell a demandé un retour au dialogue entre Bakou et les autorités arméniennes du Haut-Karabakh. Le président du Conseil européen, Charles Michel, a décrit comme «dévastatrice» l’annonce de l’opération lancée par Bakou.

La Turquie soutient les mesures prises par l’Azerbaïdjan pour protéger sa souveraineté territoriale, a déclaré pour sa part le président turc, Recep Tayyip Erdogan, lors d’une allocution devant l’Assemblée générale de l’Onu.

«Alors que ses préoccupations justes et légitimes à propos de la situation sur le terrain, qu’il a exprimées régulièrement, n’ont pas été apaisées en près de trois ans depuis la fin de la deuxième guerre du Karabakh, l’Azerbaïdjan a été forcé de prendre des mesures qu’il juge nécessaires pour sa souveraineté territoriale», déclaré par ailleurs le ministère turc des Affaires étrangères dans un communiqué.

L’Azerbaïdjan a annoncé son opération «antiterroriste» après s’être plaint que six de ses citoyens avaient été tués par des mines terrestres lors de deux incidents distincts, ce qu’il a imputé à des «groupes armés arméniens illégaux».

Les tensions se sont amplifiées sur fond d’une pénurie alimentaire provoquée par des contrôles frontaliers mis en place par l’Azerbaïdjan depuis plusieurs mois pour enrayer ce qu’il a présenté comme des livraisons d’armes en contrebande.

Deux couloirs humanitaires avaient été ouverts lundi afin de permettre la livraison de médicaments et de nourriture au Haut-Karabakh.

(Reportage Reuters; version française Nicolas Delame, Mariana Abreu, Nathan Vifflin et Jean Terzian, édité par Blandine Hénault et Zhifan Liu)

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